Thursday, September 6, 2012

TS. LÊ MỘNG NGUYÊN * NOS COMPATRIOTS D' OUTRE -MER

Nos compatriotes d’outre-mer :
L’immigration, l’intégration et la citoyenneté des Vietnamiens de toutes croyances établis en France *
Par Lê Mông Nguyên,
Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, juriste et politologue
(Suite de DL#71)
II.- NOS COMPATRIOTES D’OUTRE-MER : ASPECT SOCIOLOGIQUE ET CULTUREL DE
L’IMMIGRATION VIETNAMIENNE EN FRANCE (De l’immigration intégration à la citoyenneté)
Lors de la discussion qui a suivi sa communication à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, Rue La Pérouse
à Paris 16e (le 3 mars 2000) sur « Les naufragés de la liberté », M. Michel Tauriac répondit ainsi à une
question sur le problème nous concernant : L’intégration vietnamienne est une grande réussite. On peut
même parler parfois d’assimilation, et comme notre ministre l’a souligné tout à l’heure, il est vrai que les
Vietnamiens sont écartelés entre deux cultures. Ils ont un pied dans chaque culture. Ils se sentent bien
malgré tout en France. Je suis un peu Viêt moi-même, vous savez. Les Vietnamiens ne sont pas en France
comme on peut l’être à l’étranger, comme on peut l’être aux Etats-Unis, en Australie, etc. La France, pour
eux, c’est un peu la continuation de leur pays sous une forme différente. Cette intégration est réussie malgré
cette peur, cette inquiétude qu’ils ont de perdre leurs racines et cette inquiétude de voir leurs enfants leur
échapper. C’est bien naturel parce que les enfants s’émancipent, ils sont nés en France, ils font parfois des
mariages mixtes, malgré eux, car les mariages arrangés existent toujours, ici comme au VietNam… » (cf.
Mondes et Cultures, Comptes Rendus Trimestriels des Séances de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer,
Tome LIX – 3 – 4 – 1999, Tome – 1 – 2000, p. 300).
Notre Académicien a eu grosso modo raison de parler de réussite à propos de l’intégration de nos
compatriotes en France. J’ajoute que ceux-ci qui sont des croyants de toutes religions vivent en harmonie
entre eux et que les relations inter-religieuses ne soulèvent aucun problème… Mais avant d’entrer dans la
véritable question qui nous intéresse, une autre question fort importante de terminologies devra être examiné
au préalable. Et je reviens sur ce auquel Michel Tauriac a fait allusion : il a parlé du phénomène d’assimilation
comme exemple possible d’intégration réussie des anciens boat people en France. En vérité, l’intégration
ne doit pas être confondue avec l’ « assimilation ». Car, dans ce dernier cas, il y a une connotation
d’absorption, de négation de l’autre, donc de violence qu’ont connue les ressortissants d’anciennes colonies
françaises. L’assimilation aboutit sans aucun doute à l’annexion. L’intégration ne doit pas non plus être
confondue avec l’insertion : C’est en effet le mot lancé au début des années 1980 par la gauche , qui
consiste à accueillir des immigrés en France sans pour autant aller jusqu’à la confiscation de leur identité et
par conséquent de leur autonomie. L’insertion implique ainsi le droit à la différence. On se souvient de la
campagne gouvernementale « Vivons avec nos différences » en 1985 (sous le gouvernement Laurent
Fabius) avec les débuts de SOS-Racisme. On sait que ces thèmes sont aujourd’hui récupérés par l’extrême
droite lepéniste qui fait de la différence irréductible des étrangers une justification de leur non-admissibilité à
la société française, donc de leur exclusion. Vous rappelez-vous ce slogan : « La France : aimez-la ou
quittez-la » ? Alors que l’intégration dont nous allons parler à propos de l’immigration vietnamienne en
France suppose, selon Jacqueline Costa-Lacoux (« De l’immigré au citoyen », La Documentation. française
1989), que « Chacun accepte de se constituer partie du tout et s’engage à respecter l’intégrité de
l’ensemble ». L’intégration à cet égard, signifie le droit à l’indifférenciation . C’est M. Michel Rocard,
Premier ministre de 1988 à 1991, qui a consacré le succès du terme d’intégration. Par cette politique, les
pouvoirs publics d’alors ont voulu éviter la marginalisation d’une partie de la population et ce dans un but
précis, celui d’installer harmonieusement les immigrés dans le paysage français et de lutter contre toutes les
formes d’exclusion sociale, qui frappent non seulement les étrangers mais aussi certaines catégories de
Français comme les chômeurs, SDF, RMIstes, anciens harkis, Dom-Tom, gens du voyage, etc. Pour le Haut
Conseil à l’Intégration (HCI) : L’intégration est une sorte de voie moyenne entre l’assimilation et
l’insertion : - il s’agit de : susciter la participation active (selon un vocabulaire gaullien) à la société nationale
d’éléments variés et différents ; - il s’agit en même temps d’accepter la subsistance de spécificités
culturelles, sociales et morales et de tenir pour vrai que l’ensemble (la société française) s’enrichit de cette
variété, de cette complexité. C’est par conséquent aboutir au développement de la citoyenneté réelle dans
les quartiers en difficulté au-delà de la rénovation des bâtiments, qui constitue un axe de la politique de la
ville du gouvernement et une des finalités de l’action du Fonds d’Action Sociale (FAS) en faveur des
travailleurs immigrés et de leurs familles en France. Les outils d’intégration sont - d’égale valeur - : l’école
(éducation et culture, donc la langue y joue un rôle fondamental), le logement, l’emploi et l’égalité des droits
(Déclaration de 1789). En effet, dans son discours de réception du 23 janvier 1997 et en s’adressant à
l’écrivain Hector Bianciotti admis à l’Académie française, Jacqueline de Romilly déclarait : « Un jour est venu
où, installé à Paris et servant la littérature, vous vous êtes mis à vivre en français, à penser, à rêver dans
cette langue. Vous pouviez faire vôtre le mot de Supervielle : « Je me tais en français ». Quel bel exemple
d’intégration que celui de ce romancier d’origine argentine, installé en France depuis trois décennies et qui
s’est fait naturaliser Français en 1981 ! Auteur de nombreux ouvrages en espagnol, Hector Bianciotti a
cependant choisi d’écrire en français depuis 1985 et a été – suprême honneur pour un ancien immigré – reçu
à l’Académie française, au fauteuil d’André Frossard. Dans l’éloge de ce dernier, prononcé par le
récipiendaire, on trouve une autre vérité : « Pour André Frossard, la bonne réponse à une bonne question
était une autre question, et un problème résolu, un problème mal posé : le point final de tout discours
digne d’intérêt était, à ses yeux, un point d’interrogation ». La question qui nous préoccupe en ce
moment est : Faut-il se couper de ses racines pour s’intégrer ? La bonne réponse à cette question sera donc
une autre question : L’intégration en général et celle des Vietnamiens en particulier ne doit-elle pas aboutir à
la citoyenneté par la naturalisation ? A ce propos, (« Le Viêt-Nam au Présent », pp. 194-207, octobre 1992),
le sociologue Lê Huu Khoa cite Duong Thu Huong, femme écrivain, qui a écrit dans une Auto-Confession (Tu
Bach) : Dân tôc ta da chêt hàng triêu lân trong cái chêt (Notre peuple est obligé de mourir des millions de
fois d’une même mort), et de commenter : « D’après Duong Thu
Huong, le peuple vietnamien sait plutôt mourir que vivre. Et, aujourd’hui, pour réapprendre à vivre, il doit
apprendre à respecter la vérité et la justice (Trong le phai và su công bang) et de continuer : A ces deux
mots Vérité, Justice, il faut - pour l’auteur de cet article - en ajouter deux autres réservés spécifiquement à la
diaspora vietnamienne : Loyauté, Tolérance. Je retiens le mot LOYAUTÉ parce que nous autres
Vietnamiens, nous sommes loyaux avec la France qui nous accueille, qui nous donne la chance de refaire
notre vie, dans le cadre d’un Etat de droit respectueux des libertés. Et le sociologue de raconter l’histoire de
Tô Huu, vice-Premier ministre et responsable du Secrétariat du PCV, qui disait en 1979 sans vergogne au
cours d’une discussion avec des Vietnamiens au sujet de la naturalisation de la communauté vietnamienne
(je cite) : Le mot « passeport » se traduit en vietnamien par HÔ CHIÊU, si l’on ne retient que le dernier terme
« chiêu », il signifie « la natte », que l’on peut étendre, enrouler, garder ou jeter ». Le ministre du
gouvernement de la RSVN voulait-il dire par là que lorsqu’ un immigré obtient la nationalité du pays d’accueil,
cela se réduit simplement à l’obtention d’un simple papier ? Quelle importance si par la suite il veut ou la
changer ou la renier ? Et le sociologue français d’origine vietnamienne de s’indigner : « Nous refusons cette
attitude de tricheurs, nous avons des devoirs envers les pays qui nous ouvrent les bras, qui nous donnent la
possibilité d’envisager une autre existence. Nous devons être fiers d’obtenir la nationalité française
comme nous sommes fiers d’être citoyens français d’origine vietnamienne ».
A propos donc de la France, pays d’accueil par excellence pour des milliers de « naufragés de la liberté » qui
ont tout abandonné (je l’ai rappelé à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, séance du 3 mars 2000) , il faut
dire qu’à l’époque, dans les années 1976 et suivantes, nous étions successivement sous les gouvernements
de Jacques Chirac et de Raymond Barre, qui se déployèrent énormément pour l’insertion et l’intégration des
réfugiés vietnamiens ayant choisi la France comme pays de destination, comme pays de liberté. Je me
rappelle encore avec bonheur que le président Giscard d’Estaing avait donné des instructions très précises à
l’Administration française pour faciliter, simplifier et accélérer la procédure de naturalisation des réfugiés.
D’habitude, il leur fallait attendre des années pour aboutir. Après l’invasion du Sud par le Nord Vietnam en
avril 1975, suivie de la tragédie des boat people, mes compatriotes pouvaient – grâce à la présidence
giscardienne – se faire naturaliser Français en six, neuf mois ou un an, tout au plus. Je profite de cette
occasion pour exprimer notre gratitude à la France des Lumières et lui rendre un hommage d’affectueuse
reconnaissance.
Si l’intégration est généralement réussie, c’est parce que, confucéens de culture majoritairement, les
Vietnamiens notamment les ex-réfugiés arrivés en France entre 1954 et 1975, qui sont surtout étudiants,
intellectuels et commerçants, se ruent vers les secteurs techniques et scientifiques y compris médicaux et
pharmaceutiques (un vieux rêve des parents pour l’avenir de leurs enfants) et érigent l’instruction, c’est-à-dire
l’école au premier plan (de la vie humaine) dans le pays d’accueil. Sur le nombre des Vietnamiens en France,
Michel Tauriac a dit - en répondant à une de mes questions au cours de la séance de discussion du 3 mars
2000 en notre Académie sur « Les naufragés de la liberté » - : « … Je dirais qu’il y en a à peu près un million.
Pourquoi ? Taper sur le Minitel, le nom de « Nguyên » - c’est un peu le « Dupont » du Vietnam – et vous en
trouverez partout en France, dans toutes les villes, dans tous les départements. Vous avez près de 4 000
médecins Vietnamiens en France, et plus de 2 000 dentistes et pharmaciens, mais pour les Français, les
Vietnamiens sont tous des Chinois et tous restaurateurs… » (Chinatown ou « Le Triangle de Choisy » dans le
13ème arrondissement de Paris). A tous ces professionnels de haut niveau, il faut ajouter (selon Philippe
Devillers) beaucoup d’électroniciens (l’informatique étant un domaine où les Vietnamiens de la deuxième
génération notamment excellent) et de chercheurs scientifiques dans tous les domaines, également…
« On s’exile toujours avec ses ancêtres », tel est le sous-titre fort significatif de l’ouvrage du sociologue Le
Huu Khoa sur « L’immigration confucéenne en France » (Ed. L’Harmattan 1996, 127 p.). C’est par conséquent
avec le poids de la tradition que les immigrés vietnamiens essayent de s’intégrer dans la société française
tout en maintenant leurs liens avec leur pays d’origine. Pour l’auteur : « L’intégration semble être perçue et
comprise comme un processus et non comme un état, qui varie en fonction d’une logique d’ouverture par
laquelle le sujet asiatique se montre capable d’incorporer ses attitudes et ses aptitudes héritées du
confucianisme (harmonie du collectif) , du culte des ancêtres (de la filiation biologique à la pratique de
mémoire), puis du bouddhisme (la permanence et l’éphémère) et du taoïsme (entre relativisme et
pragmatisme) ». La tradition confucéenne veut que le Vietnamien (autrefois l’Annamite) respecte l’autorité, la
hiérarchie, pratique les vertus du « quân tu » (le sage, l’honnête homme ou « gentleman » anglais) : rectitude,
fidélité, loyauté. Il doit rechercher le « juste milieu » (le « milieu juste », disait Etiemble) et doit croire dans la
« méritocratie », d’où un amour sans partage pour les études et la fascination pour les diplômes
universitaires. Jadis pour devenir « mandarin », aujourd’hui pour réussir son intégration professionnelle et
sociale dans le pays d’accueil. C’est incontestablement l’enseignement confucéen, plus que celui du
Bouddha et de Lao Tseu ou du Christ, qui pousse l’immigré Vietnamien à aller toujours plus loin dans le
perfectionnement de ses qualités intellectuelles pour mériter la réussite de ce qu’il entreprend (sur le plan
économique) vis-à-vis de la France hospitalière. Il faut dire par ailleurs que l’esprit de famille qui réside dans
l’entraide des membres d’une même cellule, fait que le chômage qui touchait durement les immigrés
vietnamiens dans les années 80, n’a entraîné - selon une terminologie de sociologue - ni la marginalisation, ni
la fracture, ni l’exclusion (v. Buu Lich in « Le Médecin du Viêt-Nam », mai-juin 1997). Le clan familial souvent
se reconstitue en cette occasion : les jeunes au chômage sont hébergés par leurs parents et les vieux
parents à leur tour passent les dernières années de leur vie auprès de leurs enfants. C’est tout de même plus
agréable qu’une maison de retraite ou une pension pour personnes âgées, le culte des ancêtres étant ici
associé au culte des Anciens. S’il advient le plus souvent qu’existe une sorte d’ opposition entre d’un côté, la
1ère génération d’immigrés imbus de vertu confucéenne d’éducation hiérarchique familiale et de l’autre, la
2ème génération d’immigrés respectueuse des droits de l’homme et de l’individualisme occidental, il n’y a
vraiment pas de rupture car les Anciens imprégnés également de la doctrine confucéenne du « Juste
Milieu », acceptent l’éventualité d’une liberté individuelle de choix pour les jeunes dans le groupe dynastique.
Faut-il se couper de ses racines pour s’intégrer ? En réalité, il n’y a pas à proprement parler de réponse à
cette question. On se demande seulement (comme l’a fait le sociologue Lê Huu Khoa, cité supra ) : Quelle
est cette force de réminiscence du passé que les Asiatiques du monde sinisé en général et les Vietnamiens
en particulier portent en eux ? C’est , à l’évidence, la terre des ancêtres dont le culte perdure ailleurs, malgré
l’éloignement et dans le temps et dans l’espace et qui se trouve transposée en pays d’accueil par le biais
notamment d’une pagode où l’ « on dépose les cendres des ancêtres décédés en exil pour pouvoir à tout
moment assurer leur retour définitif dans le pays d’origine » à l’occasion de l’anniversaire de la mort de ses
parents, de la fête du Têt ou des vacances d’été. De toute façon, le retour périodique,
massif même depuis 1993, au pays natal de nos compatriotes, revêt un double aspect positif (parce que
c’est le signe d’une intégration réussie et normalisée) et négatif (parce que les anciens boat people se
trouvent ainsi confrontés à un régime d’ouverture économique certes, mais politiquement totalitaire). Si les
jeunes de la 2ème génération refusent cet état de choses, retourner dans son pays natal pour l’ ancien
immigré de la 1ère génération afin d’y rejoindre ses ancêtres demeurant une véritable obsession, le poète
Cao Tân n’a-t-il pas cherché tous les jours depuis son exil en Californie, son Viêt-Nam au-delà de l’océan ?
(Citons pour la démonstration ces quelques vers du poème de l’exilé, traduits par Le Huu Khoa) :
« Marcher vers la mer comme un idiot
Tremper les deux jambes dans le Pacifique
Ainsi mon odeur repart vers le cap du pays
Et touche doucement
Le dos de la douloureuse patrie ».
Faut-il se couper de ses racines pour s’intégrer et devenir citoyen à part entière ? Il n’y a toujours pas de
réponse précise à cette question. Néanmoins pour le grand philosophe ARISTOTE (384-322 av. JC) : « … le
citoyen authentique est celui qui exerce une fonction publique : soit qu’il gouverne, soit qu’il siège au tribunal
ou participé aux assemblées du peuple. La citoyenneté est donc la participation active aux affaires de la Cité.
C’est le fait de ne pas être simplement gouverné, mais aussi gouvernant. » D’où la force du bulletin de vote.
Lê Mông Nguyên (Paris)
* Communication faite par l’Académicien Lê Mông Nguyên au cours de la Journée de Rencontre entre
catholiques et représentants des religions d’Extrême-Orient de France au Centre Culturel Saint Thomas à
Strasbourg le 20 mars 2004, aux côtés de Son Exc. Monseigneur Joseph Doré, Archevêque de Strasbourg,
de Monseigneur Joseph Gaschy, Vicaire Général et du Vénérable Thich Minh Tam (de la Pagode Khanh Anh,
Paris).







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