Saturday, September 8, 2012

TS. LÊ MỘNG NGUYÊN * NGUYỄN CHÍ THIỆN


L A H A I N E E T L ' A M O U R
DANS LES POEMES DE NGUYÊN CHI THIÊN
Prof. Dr Lê Mông Nguyên


En évoquant une question qui avait été posée à Nguyên Chi Thiên au cours de sa conférence de presse du 23 avril 1996 : "Comment avez-vous pu tenir si longtemps (pendant plus de 27 ans) dans le goulag vietnamien, l'un des pires
qui puisse exister au monde ?", la présentatrice de la journée de rencontre du
Poète avec ses compatriotes à Paris le 25 mai 1996, fit un bref rappel de la réponse qu'il avait donnée à l'auditoire ce jour-là :
"J'ai pu survivre grâce à deux choses :
1/ Une fois inébranlable dans la justice immanente : la loi de cause à effet. Tout ce que nous faisons de mal se retourne un jour contre nous. Les mauvaises actions ne peuvent produire que de mauvaises conséquences. Le Parti communiste a commis tant d'atrocités que je suis sủr que ces atrocités ne peuvent qu'entraîner sa chute;
2/ La poésie : le privilège que j'avais de savoir transformer toutes mes
souffrances, mes humiliations et les exactions subies en littérature et poèmes. C'est cela qui m'a sauvé. Bref, la foi et la poésie ont été les deux moteurs de
ma survie. La machine de répression communiste peut tout écraser sur son passage mais elle est impuissante face à la foi et la voix des hommes..."
Profondément bouddhiste mais assurément habile stratège, il réussit à se sortir
d'une situation inconfortable en répliquant à une question piège concernant sa lutte sans répit contre les communistes alors qu'il était assis lors de la réunion du 25 mai à côté du vénérable Thich Minh Tâm et à l'ombre des oriflammes de la pagode Khanh Anh : Bouddha qui symbolise la Paix et la Pitié n'a-t-il pas dủ croiser le fer avec Marâ le Démon qui, furieux de le voir échapper à son empire, lui livra l'assaut par son armée infernale ?
Nguyên Chi thiên s'est défendu d'être un héros, puisque : "Si le progrès de la science le permet, il suffira de tester mon sang et l'on saura qu'il n'a rien à voir
avec celui d'un héros". Néanmoins, "j'ai le respect de moi-même, je crois en la
raison, le destin. Je ne suis pas un héros mais je ne suis pas un lâche. Si on est lâche, on ne sera pas en mesure de lutter contre le communisme, on sera vaincu par la mort" (Introduction aux Fleurs de l'Enfer 2 ). Son seul instrument de lutte :
Au sein de l'univers carcéral infini, Privé de tout et abandonné. Si j'ai pu survivre. C'est grâce à la poésie. Elle seule demeure mon amie ! (1)
C'est la poésie, la sienne, qui vient de remporter une victoire sur la tyrannie et par laquelle Nguyên Chi Thiên qui eut à endurer d'indicibles souffrances dans son étroite cellule :
L'endroit où je me couche
Mesure soixante centimètres de large,
Flanqué, des deux côtés, d'un lépreux
Et d'un tuberculeux comme compagnons d'infortune, (2)
a pu crier son désespoir et sa...
Haine qui chauffe, qui bouillonne avec les mois et
les années
Qui - à force de bouillir - finit par s'évaporer et se
vider
Il faut donc, Amis, utiliser la haine
Au moment précis où elle se trouve en ébullition ! (3).
Le Poète est prêt à tout pour forger et garder intact ce
farouche ressentiment :
J'avale ma honte, ma douleur, ma tristesse, ma misère,
Afin de pouvoir avaler toute ma haine
A présent qu'elle est vieille et proche de la fin
Je dois, mieux encore, l'avaler,
Je l'avale, toujours, inébranlablement (4).
Nguyên Chi Thiên reste donc, mieux que quiconque, bien placé pour émettre une opinion sur le marxisme-léninisme :
A la lumière de l'expérience
Et de par les années que j'ai
vécues au coeur même du communisme,
J'estime que son essence peut résulter
diverséléments:
Cruauté, Déloyauté,
Trahison envers ses amis,
Duperie envers ses maîtres,
Fourberie, Saloperie,
Cupidité, Impudence (5).
On comprend alors que
le Parti qui le représente
... façonne ses membres afin
de leur ôter tout caractère humain,
Et de lui substituer le caractère animal qui voit
ainsi le jour,
Qui s'accroît d'année en année,
Qui s'accroît continuellement,
Jusqu'au moment où il se
transformera en caractère partisan (6).
Si " l'humour (dit Freud) a non seulement quelque chose de libérateur... mais encore quelque chose de sublime et d'élevé" (Breton), le Poète ex-prisonnier de conscience en a naturellement le sens, face à ses propres tortionnaires :
Notre Parti est vertueux, Oncle Hô l'a bien dit !
A coups de marteau,
Il assène les prisonniers à la poitrine,
Les obligeant à travailler impeccablement
Certains vomissant du sang,
Meurent après quelques jours
D'autres devenus tuberculeux,
Vivotent pour un temps encore
Il faut cependant consolider le mouvement
Qui consiste à concourir à la rééducation
Notre Parti est décidément très humain
Oncle Hô n'est pas un menteur ! (7).
Pour l'amour de son pays, Nguyên Chi Thiên prend le PC en aversion et nourrit une haine
implacable contre les dirigeants de Hanoĩ :
Le communisme est extrêmement tyrannique !
Et nos compatriotes extrêmement malheureux
Notre pays ressemble à un trou profond
Dans lequel s'engouffrent des talents
Combien d'existences brisées ?
Combien de souffrances englouties ?
Ma rancune ne cesse de grandir
Elle grandit continuellement, avec le temps ! ... (8)
Mais pour l'amour de ses parents auxquels il devait tout et qui sont morts tandis qu'il croupissait encore dans les geôles meurtrières du socialisme, il a su également émouvoir :
Si je suis devenu poète
C'est bien grâce à vous, Chers Parents,
Qui m'aviez élevé et envoyé à l'école
Malgré l'extrême pauvreté de notre famille
Vous vous êtes totalement occupés de moi
Qui passai tout mon temps à lire
Et à m'exercer à écrire des poèmes
Comment pourrais-je un jour
Remplir mon devoir de piété filiale ?
Ma faute est combien grave envers vous !
Cependant, votre coeur usé gros d'amour,
Vous n'y aviez jamais pensé
Vous souhaitiez seulement que je réussisse un jour
Et que je devienne quelqu'un
Avant de mourir, vous aviez encore la force
De songer à confectionner mes habits
Afin qu'ils fussent prêts à mon retour de prison
Comme il est immense, l'amour de mes parents,
Il n'en existe pas d'autres qui puissent le comparer
Dans ce bas monde ! (9).
Ses parents ayant trépassé, il lui reste ses frère et soeur et pour son bonheur
J'ai rêvé de ma libération
Assis à une table
Je lève mon verre à la santé
De mes frère et soeur
Ainsi que de mes neveux et nièces
Qui m'entourent et qui me forcent à manger
Qui remplissent mon assiette,
Ma soeur riant aux éclats,
Tout le monde est joyeux,
Je me sens revivre ! (10)
Quant à l'amour entre un homme et une femme, les 27 ans de prison laissent dans la vie du Poète un goủt amer, à l'instar de la sublime poétesse T.T.Kh. des années 30 :
Je me souviens d'un soir de juin
Il faisait très chaud comme aujourd'hui
Toi et moi nous marchions la main dans la main
Pour une promenade au bord des dunes au sable fin
Prenant à témoin le ciel et la mer
Tu me juras de rester fidèle
Mais à ce moment-là
Je n'ai pas songé au lendemain
A présent que je suis courbé
Et marchant péniblement dans ma cellule
J'ai reçu la nouvelle de ton mariage
Je n'ai qu'un petit peu de chagrin
Et réfléchis un petit peu
Sur ma vie qui tombe comme une feuille morte,
Toute déchirée, en lambeaux
Comment puis-je alors te reprocher de m'avoir trahi ?(11)
Lê Mông Nguyên
* Membre de l'Académie des Sciences (d'Outre-MerFrance)
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(1) Fleurs de l'Enfer (FDE) 2, p. 165. Tous les
poèmes de Nguyên Chi Thiên reproduits dans cet
article sont traduits par Lê Mông Nguyên.
(2) FDE 2, Introduction..
(3) FDE 2, p. 168.
(4) FDE 2, p. 168.
(5) FDE 2, p. 169.
(6) FDE 2, p. 171.
(7) Notre Parti (1980), FDE 2, p. 80. (8) 1987, FDE
2, p. 31. (9) FDE 2, p. 113. (10) FDE 2, p. 164. (11)
Sous le titre en vietnamien Chiêu Thu Bay
(Samedi soir) 1968, poème publié dans Tiêng Goi
Dân Tôc (L'Appel de la Nation) nổ 44 du 3 nov.
1995
  

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